joi, 28 august 2014

Justice internationale et lutte contre le terrorisme, par Jacques Vergès

Vă rog să citiți acest text selectat de mine, în speranța că vă poate interesa. Cu prietenie, Dan Culcer
Justice internationale et lutte contre le terrorisme, par Jacques Vergès

Le samedi 26 janvier 2002 eut lieu au Palais de Luxembourg le colloque "Justice et politique", organisé par l'association Démocraties, présidée par le général (cr) Henri Paris. Parmi les intervenants, il y avait notamment le général Paris, le professeur Mario Bettati, maîtres Jacques Vergès et Isabelle Coutant-Peyre.
La revue A contre-nuit, inspirée par Roger Garaudy et à laquelle il collaborait, a publié dans son n°18 (février 2002) un compte-rendu dont nous extrayons l'intervention de Jacques Vergès.


Jacques Vergès (à gauche) avec Roger Garaudy

Le sujet qui nous est proposé aujourd’hui, est la justice et la politique, spécialement sous l’angle des tribunaux pénaux internationaux et de la lutte contre le terrorisme.
D’abord, j’ai noté dans l’intervention très intéressante du professeur Bettati cette phrase : « Se réclamer de Dieu pour commettre un crime ». Mais si nous regardons l’histoire du monde, c’est toujours au nom d’un idéal qu’on a commis des crimes. C’est le Christ au poing et au nom de sa religion d’amour, qu’anglo-saxons et hispaniques détruisirent les civilisations amérindiennes. C’est au nom de la liberté de navigation en Méditerranée que la France entreprit la conquête d’Algérie. C’est au nom de la liberté de commerce que les Anglais infligèrent à la Chine les trois guerres de l’opium. Aujourd’hui ce n’est plus au nom de Dieu ou de la liberté de commerce -pas encore- qu’on engage des expéditions, c’est au nom des droits de l’homme. Mais ça ne change rien au fond, nous sommes toujours en face de la même situation, on se réclame d’un idéal sur lequel tout le monde est d’accord, enfin, sur lequel il y a un consensus, pour entreprendre des actions qui démentent précisement cet idéal. Et, aujourd’hui on nous dit qu'il ne faut pas qu’il y ait deux poids et deux mesures, qu'il faut que la justice soit impartiale et on nous parle d’un tribunal pénal international.
Il y a quelques années pour le 50° anniversaire du procés de Nüremberg, j’étais invité par la BBC à Nüremberg, dans la salle même où le procès eut lieu. Et le débat était : que pensez-vous d’un tribunal pénal international ? Tous les participants à ce débat nous avons convenu que c’était un beau rêve. Mais, quand on nous a posé la question, est-ce que vous y croyez ? J’ai répondu : "C’est un beau rêve, mais j’ai dépassé l’âge des rêves, des rêveries et je croirai à un TPI lorque je verrai au banc des accusés le général Westmoreland et monsieur Mac Namara et comme accusateurs des Vietnamiens". Mais je sais bien que c’est là un rêve fou et que les tribunaux ce sont toujours de tribunaux où les vainqueurs essayent, en condamnant le vaincu, de justifier leur entreprise, qu’elle soit fondée ou pas.
Aujourd’hui je voudrais dans cet exposé, qui sera en deux points, montrer dans le premier point, comment la justice est une arme politique et comment elle est manipulée dans ce domaine. Et dans un deuxième point, examiner la gravité de la question du terrorisme aujourd’hui, sous un aspect que certainement vous trouverez inattendu.

Premièrement la répression. Nous avons des tribunaux ad hoc, c’est-à-dire, des tribunaux qui ne sont pas pour tout le monde, qui ne visent que certains et précisément les plus faibles. Les Yougoslaves ont été vaincus et puis les Hutus. Mais, les Hutus qui ont été tués par centaines de milliers dans l’ex-Zaïre, il n’est pas question de procès pour eux. Il est question de crimes commis par les Hutus, il n’est pas question de crimes commis contre les Hutus.
Deuxièmement, le TPI sur la Yougoslavie n’examine que les choses que d’un seul côté. Je m’explique.
Le TPIY a été créé par une décision du Conseil de Sécurité de l’ONU, qui n’est pas un organe juridictionnel. On ne peut pas déléguer une fonction que l’on n’a pas. D’ailleurs monsieur Koffi Annan dans une une intervention au mois de mai 93 disait très clairement : « La formule idéale aurait été une conférence internationale où les gouvernements participent, signent et ensuite ratifient, à la suite de débats démocratiques dans chaque pays". C’est la formule qui a été utilisée d’ailleurs pour la création de cette fameuse Cour Pénale Internationale à la conférence de Rome. Mais nous étions pressés dit monsieur Kofi Annan, je ne sais pas ce « nous », première personne du pluriel, qui se cache derriere, mais chacun peut faire des suppositions.
Ce tribunal devait être impartial. Comment fonctionne-t-il ? Et bien je vous dirai une chose qui est étonnante et qui m’a surpris quand je me suis attaché à étudier son fonctionnement : 14% des fonds du financement viennent des donateurs et parmi ces donateurs vous avez des gens qui n'étaient pas impliqués du tout dans le conflit...comme les USA.... Vous avez des régimes démocratiques que tout le monde peut saluer comme l’Arabie Saoudite et puis, vous avez même des particuliers, des humanistes au grande cœur dont tout le monde connaît l’habileté boursière, tel monsieur Soros. Alors je vous le dis, est-ce que dans une histoire de divorce, de loyer, de prud’homme, vous accepteriez de comparaître devant un juge, dont une partie de la subsistance est assuré par monsieur Soros ou un autre individu de cet acabit ? Manifestement non.
C’est une justice entretenue. Vous savez très bien la distance qui va de la justice entretenue à la justice soumise...nous avons des exemples. L’opinion s’interrogeait -surtout en Angleterre- sur les buts et les moyens de cette guerre. Immédiatement, madame Arbour -qui siègeait dans ce tribunal et dont son pays, le Canada, était membre de la coalition- lança un mandat contre monsieur Milosevic et son gouvernement. Et madame Albright déclare immédiatement : «Cette accusation justifie notre guerre ». C’est-à-dire, la justice est là pour justifier la guerre. Ce tribunal a été fondé en 1993 et prétend s’occuper des faits ayant eu lieu en 1992, ou 1991, c’est ce qu’on appelle une application rétroactive de la loi pénale, ce qui est parfaitement contraire à la déclaration universelle des droits de l’homme, dont la France a connu dans le siècle dernier un exemple, celui des sections spéciales.
Vous vous rappellez l’histoire des sections spéciales. Hitler, à la suite d’un attentat veut faire exécuter des otages et les autorités de Vichy lui disent : « Si ces vous, les Allemands qui les faites, vous tombez dans le cycle attentats-répression-provocation. Laissez-nous, Français, tuer nos otages pour vous, mais permettez-nous de les condamner d’abord -demandèrent les tribunaux spéciaux- de telle manière qu’ils apparaissent à l’opinion française non pas comme des soldats, mais comme des condamnés de droit commun". Le représentant français expliquait cela à un officier allemand à Berlin, qui étonné lui dit :
-«Dois-je comprendre que vous allez appliquer rétroactivement la loi ? »
Et le représentant du gouvernement de Vichy répondit :
-«C’est exactement cela, major ».
L'officier allemand alors sourit et lui dit :
-« Eh bien, Monsieur, je vous félicite, vous êtes en avance sur nous ».
Voilà un compliment terrible et ce major s'il vivait encore, je me demande ce qu'il dirait aux juges de La Haye.
Donc, naissance illégale, fonds douteux, violation des règles élémentaires de la déclaration universelle des droits de l’homme, mais ce n’est pas tout. Vous l’avez vu dans la presse, il y a aussi des témoins privilégiés, c’est-à-dire, qu'ils peuvent témoigner masqués -c’est pour leur sécurité bien sûr-; mais que puis-je faire, moi accusé, contre un témoin dont je ne vois pas le visage et dont on me cache le nom?. Un témoignage n’a pas une valeur absolue en soi, un témoignage doit être apprecié en fonction du témoin qu’il porte. Et puis, ce tribunal peut refuser à la défense certains documents. C’est l’affaire Dreyfus.
Alors vous comprendrez comment devant cette institution, on peux s’interroger : est-ce qu’on a progressé ou bien on a regressé?. Pour l’avocat du barreau de Paris cela évoque deux choses : les sections spéciales et le procès Dreyfus. Voici donc pour la première partie, en résumant, ce que je voulais vous dire sur ce tribunal pénal.
Quelqu’un a dit, enfin dans cette guerre il y a eu des atrocités commises par les troupes de l’OTAN, il faudrait mener une enquête à ce sujet. Eh bien, le procureur a nommé un enquêteur en effet, cet enquêteur c’était un fonctionnaire du ministère canadien de la défense...et évidemment il est revenu en déclarant qu’on ne pouvait rien reprocher aux troupes de l’OTAN. C’est exactement comme si pour enquêter au sujet d’un hold-up, vous demandiez au membre du hold-up de vous dire comment ça s’est passé et s’il y a eu violation de la loi.
Mais ce tribunal pose un autre problème beaucoup plus grave. On vous a dit -j’ai écouté avec beaucoup d’attention Monsieur le professeur Bettati- qu’est-ce que le terrorisme ? Ce sont des actes qui provoquent la mort d’innocents, pour terroriser la population et pour contraindre un gouvernement à céder. Alors, le terrorisme dans certains affaires n’est pas celui qu’on pense.
Je voudrais d’abord vous rappeler que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, ont existé dans toutes les guerres. Ils étaient collatéraux dans la guerre, en tout cas en Europe. Je ne parle pas des guerres en Afrique, en Asie ou en Amérique qui avaient un caractère complètement différent.
Le grand théoricien de la guerre, jusqu'à la Deuxième guerre mondiale était Clausewitz. Il était un homme de guerre, il était un prussien. C’était également un homme des lumières, d’où une pensée complexe. Clausewitz disait certes, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, mais il y a une dynamique interne à la guerre. La guerre tend à l’extrême et le paradoxe est que lorsque les politiques ont entamé la guerre ils doivent tout faire pour que la guerre n’aille pas à l’extrême. Parce que le but de la guerre c’est paradoxalement, la paix. C’est-à-dire, Clausewitz excluait les actes contre la population civile.
Ses théories ont guidé tous les stratèges européens jusqu'à la Deuxième guerre mondiale. Avant la Deuxième guerre mondiale apparut l’aviation et par là, la tentation de pousser la guerre à l’extrême. Ce sera théorisé par un militaire italien, le général Douhet -un ami de Mussolini- et il va définir ce qu’il va appeler « la guerre absolue »: le pays qui a la supériorité aérienne, doit détruire l’ennemi.
Les Allemands évidemment furent les premiers a appliquer cette théorie très humaine, ce fut Guérnica et après, Rotterdam, 35 000 morts, la garnison capitule le jour même et l’armée hollandaise, le lendemain, capitule à son tour parce qu’elle a peur qu’Utrecht soit détruite comme Rotterdam l’a été.
Lancés dans cette voie, -ce n’est pas la spécialité seulement des régimes fascistes bien qu'ils ont eu l’initiative- les Anglais se ratrappent avec la destruction de Dresden en 1945, où vivaient 600 000 habitants, 1 million parce qu’il y avait 400 000 réfugiés qui fuyaient l’avance soviétique. Dresden qui était démilitarisée n’avait pas de DCA fut bombardée : 135 000 morts.
Mais aux Jeux olympiques des crimes de guerre il y a toujours les champions qui se revèlent, et ces champions vont venir d’au-délà des mers, au-délà de l’Atlantique, et ce fut Hiroshima et Nagasaki.
Hiroshima et Nagazaki furent détruites alors que le Japon était à genoux et qu'il avait déjà envoyé une délégation pour essayer de négocier à travers Moscou.
Jusque-là vous avez remarqué que la guerre n’a pas complètement changé de caractère. Il y a l’intervention affreuse de l’aviation dont on ne cache pas qu‘elle est là pour terroriser. Mais il y a également un combat au sol. Et l’excuse qu’on se donne c’est que les bombardements de terreur visent à abréger les combats au sol et donc, à épargner la vie de nos soldats. Ce procédé va se continuer au Vietnam et en Iraq, mais en Yougoslavie le retournement complet se fait.
On nous dit : c’est la guerre zéro mort. Il n’y a pas d’engagement au sol, il n’y a que l’aviation côté allié et contre qui l’aviation va engager son action ? Contre l’armée serbe ? Comme toute armée en temps de guerre, elle a quitté ses casernes se protégeant dans les abris. Tout le monde convient que l’armée serbe a souffert très peu de pertes.
Ces bombardements visaient la population civile. Et alors là, je reviens à la définition du terrorisme : tuer des vies innocentes. Et on tue des vies innocentes quand on supprime l’électricité toute une nuit ou deux nuits sur Belgrade, pendant que des gens opèrent dans des maternités ou dans des cliniques, quand on bombarde des convois de refugiés, manifestement ce sont des vies innocentes.
Deuxièmement, terroriser la population. Mais le fait n’est pas caché, Monsieur O’Shea, ce gentleman que vous avez entendu à l’époque -si distingué, si délicat- disait : « Nous ramenerons la Yougoslavie à l’âge de pierre ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Ca veut dire que c’est la population qui va trinquer. Comme le général Wesney Clark, commandant cette croisade, contre le mal sans doute, disait : « Nous allons détruire tout ce à quoi tient Milosevic ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Et enfin, quand Madame Albright qui parle toujours des droits de l’homme disait : « Au printemps ils mangeront dans ma main ». Qu’est-ce que cela veut dire ?
Et donc, nous avons cette situation -c’est ce que je voulais vous dire- d’une part la répression des TPI est sujette à caution, les fonds sont douteux, le fonctionnement est improvisé et viole les règles les plus simples et le but est de justifier ce que le vainqueur a commis. Mais ce que le vainqueur a fait, je crois qu’il nous faut réflechir : c’est la première fois que la guerre, -la guerre s’accompagnait comme disait Monsieur Bettati de bavures- mais les bavures n’étaient pas intrinsèques à la guerre. Aujourd’hui le crime contre l’humanité, le génocide et la guerre ne font plus qu’un, à travers cette théorie, la guerre zéro mort.
C’est la réflexion à laquelle je suis parvenu et que je voulais soumettre à votre examen, a vos réflexions.

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